Comment les jeunes restent informés à l’ère du flux continuComment les jeunes restent informés à l’ère du flux continu

Un océan d’informations, une génération à la dérive ?

Snap, scroll, swipe : en quelques gestes, les jeunes d’aujourd’hui peuvent parcourir plus d’actualités en cinq minutes que leurs aînés en une journée. Pourtant, une question persiste : s’informent-ils vraiment ou consomment-ils simplement des bribes de contenu ? À l’heure du flux continu, la frontière entre information, distraction et désinformation devient floue. Comprendre comment les moins de 30 ans s’informent, c’est aussi décrypter une transformation profonde des usages, des attentes et des comportements.

Instagram n’est pas un média d’info… mais presque

Pour les jeunes, les médias traditionnels – journaux, JT, radios – n’ont plus le monopole de l’autorité. Selon le Reuters Institute Digital News Report 2023, 39 % des 18-24 ans déclarent s’informer principalement via les réseaux sociaux. Instagram, TikTok, YouTube, voire Snapchat, prennent la relève de la Une imprimée. Ils n’ont pas été pensés comme des supports journalistiques, mais c’est bien là qu’une partie toujours plus importante des jeunes découvre l’actualité du monde.

Mais que trouve-t-on dans ce fil constamment renouvelé ? Beaucoup de vidéos courtes, parfois relayées par des médias traditionnels, souvent créées par de simples citoyens, influenceurs ou activistes. Les jeunes ne lisent pas moins d’informations, ils les consomment autrement : au gré de leurs centres d’intérêt, d’algorithmes affûtés et de la viralité. Ce n’est plus la Une qui s’impose à eux, c’est eux qui piochent dans un buffet infini de contenus.

De la passivité à l’engagement : une lecture plurielle

Un constat s’impose : les jeunes ne sont pas désintéressés par l’actualité. Ils y accèdent autrement. Ce qui les distingue, c’est une approche plus horizontale : ils croisent les sources, comparent les points de vue, et accordent une confiance relative aux émetteurs – médias ou particuliers. Certains suivent une chaîne YouTube engagée, aux formats léchés (comme Hugo Décrypte ou Blast), et, en parallèle, un compte Instagram spécialisé sur la situation en Palestine ou les violences policières. D’autres, plus discrets, s’informent en silence dans les fils Reddit ou les stories Telegram. Cela pose la question de l’engagement. Est-ce que s’informer signifie commenter, débattre, relayer ? Pour beaucoup de jeunes, oui.

Dans un monde saturé de signaux et de polémiques, poser un « like » ou partager une information, c’est un acte de positionnement. Le curseur entre savoir et prendre parti est délicat. Les jeunes deviennent leurs propres éditorialistes, construisent en temps réel un fil d’actualités à leur image – parfois multiculturel, parfois communautaire, souvent pointu.

L’attention en miettes : une malédiction générationnelle ?

On critique régulièrement l’inattention des jeunes. Mais faut-il leur en vouloir d’avoir du mal à se concentrer, quand un téléphone vibre toutes les 3 minutes, que l’info arrive en salves, et que chaque contenu est racourci pour tenir en 15 secondes ?

La fragmentation de l’attention n’est pas forcément un rejet de fond, mais une adaptation à l’ère numérique. En revanche, elle pousse à une superficialité du traitement : difficile de contextualiser une guerre en 30 secondes. C’est là que de nouveaux formats émergent pour répondre à ce besoin : newsletter lue au petit-déj, podcast pendant le trajet, thread Twitter synthétique, reel informatif… Plus que la longueur, c’est la capacité à capter rapidement une attention volatile qui devient cruciale.

L’impact des algorithmes : le filtre invisible

Consulter les réseaux, c’est pénétrer une bulle algorithmique construite sur mesure. L’inconvénient ? Une chambre d’écho, où l’on ne voit que ce qu’on croit déjà ou ce que l’on aime. Le phénomène de « filter bubble », dénoncé dès 2011 par Eli Pariser, est aujourd’hui intégré dans l’expérience numérique. En clair : à force de regarder certains contenus, on finit par croire que tout le monde pense pareil.

Cela ne veut pas dire que les jeunes sont piégés dans une désinformation massive, mais plutôt qu’ils peinent à construire une vision pluraliste du monde. À cela s’ajoute une méfiance croissante envers les grands médias, accusés – parfois à tort, parfois à raison – d’être biaisés, déconnectés du terrain, voire manipulateurs. Cette attitude critique, souvent salutaire, peut aussi déboucher sur un rejet trop global du journalisme professionnel, au profit de contenus plus émotionnels mais moins rigoureux.

Savoir trier, vérifier, relier : des compétences clés

Alors, comment aider les jeunes à mieux s’orienter dans ce labyrinthe informationnel ? Le rôle de l’éducation aux médias est crucial. Trop longtemps cantonné à quelques cours isolés, ce champ devrait faire partie intégrante de la formation au citoyen numérique. Apprendre à identifier une source, comprendre une infographie, repérer une fake news, distinguer l’opinion du fait… Ces compétences ne se développent pas automatiquement avec la pratique. Elles s’acquièrent, se testent, s’aiguisent.

Bonne nouvelle : les jeunes ne demandent qu’à comprendre. Lorsqu’on leur donne les outils – via des projets pédagogiques ou même des influenceurs engagés – ils apprennent à décrypter. On le voit dans le succès des comptes comme @nicolaschoquet sur TikTok ou @ClémentVoule sur Instagram, qui vulgarisent les institutions ou reviennent sur les grands conflits avec des formats simples, mais sourcés.

Apprendre à ralentir dans le flux

Dans un monde de zapping, il est presque révolutionnaire de prendre le temps. Certains jeunes y aspirent. On observe une réappropriation du rythme : lire un livre pour comprendre un sujet, écouter un podcast documentaire, suivre une newsletter hebdomadaire. Autant de moyens de reprendre la main sur le temps long, de sortir du « breaking news » perpétuel.

C’est dans ce contexte que naissent des initiatives comme Brief.me ou Café des sciences, qui proposent des contenus calmes, contextualisés, parfois payants, mais construits comme des parenthèses de compréhension. Leur public ? De plus en plus de 18-30 ans, justement lassés du bruit numérique ambiant.

Vers une nouvelle culture de l’information

Le rapport des jeunes à l’information ne signe pas la mort du journalisme, mais sa transformation. Il ne s’agit pas d’abandonner l’exigence de rigueur, mais d’en renouveler les formes. Le journaliste devient parfois créateur de contenu, le média se fait plus interactif, dialoguant avec ses lecteurs sur Discord ou Twitch. En retour, les jeunes développent des attentes plus fortes : authenticité, transparence, personnalisation.

Peut-on encore parler de « jeunesse désinformée » ? Pas vraiment. Elle est surtout désorientée, prise dans un flux constant, mais avide de sens. Ce qui manque, parfois, ce n’est pas l’info, c’est le lien entre les infos. Dans ce maelström numérique, savoir tisser des liens, relier les causes, décrypter les codes, devient plus précieux que jamais.

Alors que les technologies continueront d’évoluer, il devient essentiel de se poser cette question simple : que veut dire “s’informer” aujourd’hui ? Une question à laquelle les jeunes ne répondent pas tous de la même manière — et c’est peut-être, au fond, ce qui rend cette génération si fascinante à observer.

By Louis

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