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La montée des deepfakes et leurs conséquences sur la société

La montée des deepfakes et leurs conséquences sur la société

La montée des deepfakes et leurs conséquences sur la société

Quand le faux devient vrai : l’irruption des deepfakes dans notre quotidien

Il y a quelques années à peine, les deepfakes relevaient du gadget technologique réservé aux cercles spécialisés. Aujourd’hui, ils s’infiltrent partout : dans des vidéos virales, des campagnes politiques, jusqu’aux outils de formation et à certains contenus artistiques. Pourtant, une question s’impose : que deviennent nos repères communs lorsque le faux est techniquement parfait ? Et surtout, quelles en sont les implications sur nos vies individuelles et collectives ?

De la prouesse technique au risque sociétal

Un deepfake, pour faire simple, est une vidéo (ou un fichier audio) produit à l’aide de l’intelligence artificielle, dans laquelle le visage ou la voix d’une personne est recréé avec un réalisme sidérant. Cette technologie repose principalement sur des algorithmes de deep learning, notamment les GANs (Generative Adversarial Networks) : deux intelligences artificielles s’affrontent, l’une créant du contenu falsifié, l’autre tentant de le détecter, jusqu’à obtenir un faux indiscernable du vrai.

Longtemps cantonnés à des blagues potaches ou des détournements de films (des vidéos où l’on voyait par exemple Tom Cruise réciter des recettes de cuisine en français impeccable circulaient déjà en 2019), les deepfakes prennent désormais une autre dimension. Politique, cybersécurité, journalisme, éducation, justice : aucun domaine n’est épargné. Et la frontière entre l’usage créatif et la manipulation délibérée devient de plus en plus mince.

Les premiers signaux d’alerte

Des cas concrets commencent à émerger. L’un des plus médiatisés concerne une vidéo de 2020 montrant le Premier ministre belge s’exprimant sur le climat. Sauf que… il ne l’a jamais enregistrée. Créée par une ONG pour alerter les citoyens sur la passivité politique, la vidéo a semé le doute avant que sa supercherie ne soit dévoilée. Même lorsqu’il s’agit d’intentions « nobles », la méthode interroge.

Autre exemple, plus préoccupant cette fois, en Inde : en pleine période électorale, des deepfakes ont été utilisés pour diffuser de faux discours d’opposants, dans des dialectes régionaux. L’objectif ? Manipuler l’opinion publique à des fins électorales. La rapidité de diffusion sur WhatsApp ou Facebook rend la vérification difficile, voire impossible, dans l’instantanéité numérique.

Méfie-toi de ce que tu vois (et entends)

Dans une ère où l’image est synonyme de vérité, les deepfakes brouillent les cartes. Autrefois, la preuve ultime dans une enquête ou dans un conflit politique reposait souvent sur une vidéo ou un témoignage audio. Désormais, cette preuve peut être fabriquée de toutes pièces.

Avec leurs progrès fulgurants, les deepfakes remettent en cause la confiance dans les médias, dans les institutions, et même dans notre propre mémoire visuelle. Peut-on encore croire ce que l’on voit ? Peut-on s’appuyer sur des images pour dénoncer une injustice, quand n’importe qui peut en créer une de toutes pièces ?

Les analystes parlent désormais de « pollution informationnelle » ou de « réalité synthétique ». Des notions qui rejouent, à l’ère numérique, le vieux débat entre apparence et essence, réel et fiction.

Quelles réponses face à cette dérive ?

La tentation première serait de vouloir interdire les deepfakes. Mais une telle mesure serait non seulement techniquement difficile – les outils sont en accès libre, les développeurs nombreux – mais aussi juridiquement floue. La technologie en soi n’est ni bonne, ni mauvaise : c’est l’usage qui en détermine l’impact.

Plusieurs pistes concrètes émergent cependant :

Face aux images biaisées, la meilleure défense reste peut-être l’intelligence humaine — formée, éveillée, méfiante quand il le faut.

Deepfake : menace ou opportunité ?

Il serait pourtant réducteur de ne voir dans les deepfakes qu’une dérive alarmante. Comme souvent avec la technologie, leur potentiel est ambivalent. Dans le domaine artistique, certains réalisateurs commencent à l’utiliser pour ressusciter des acteurs disparus ou restituer des œuvres perdues. Des musées numériques exploitent la technologie pour faire revivre des personnages historiques, offrant aux visiteurs une expérience immersive inédite. Le patrimoine pourrait en bénéficier.

Côté accessibilité, certaines entreprises emploient la synthèse vocale ultra-réaliste pour permettre à des personnes privées de parole de communiquer plus aisément. La technologie deepfake sert aussi dans la formation ou la simulation (dans la médecine notamment), pour entraîner sans risque des gestes chirurgicaux complexes ou simuler des dialogues patients/médecins réalistes.

Mais ces bénéfices doivent s’accompagner d’un solide garde-fou éthique : qui décide de l’usage légitime ? Quel consentement demander aux personnes recréées numériquement ? Qui porte la responsabilité d’un contenu faux dont les impacts sont bien réels ?

L’enjeu fondamental : la confiance

Le véritable enjeu derrière les deepfakes n’est pas technologique. Il est sociétal. Il repose sur cette notion de confiance : dans les images, dans les voix, dans les sources d’information, dans les institutions. Une fois ébranlée, cette confiance est très difficile à restaurer.

En 2024, face à une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, des millions d’individus sont susceptibles de croire ce qu’ils voient… ou de tout remettre en question, même ce qui est authentique. Cette incertitude permanente crée un climat délétère où chacun vit dans une bulle de soupçon permanent. À terme, c’est le socle démocratique lui-même qui vacille : comment débattre sereinement si l’on n’est même plus d’accord sur les faits ?

Pour éviter de basculer dans une ère de post-réalité, il revient donc aux journalistes, aux enseignants, mais aussi aux créateurs de contenus, aux développeurs et aux citoyens eux-mêmes d’ériger des digues. Cela passe par plus de transparence (afficher quand une vidéo a été modifiée, enregistrée, synthétisée), plus de pédagogie, et un cadre réglementaire qui évolue au rythme des innovations.

Et maintenant ? Vers une société augmentée… ou altérée ?

Les mois et années à venir seront déterminants. La bataille de l’image ne fait que commencer. Si personne ne conteste que les deepfakes représentent une avancée technologique impressionnante, il nous appartient collectivement de décider de la place qu’ils tiendront dans nos sociétés. Veut-on d’un monde où chacun peut, littéralement, faire dire n’importe quoi à n’importe qui ? Ou préfère-t-on des technologies maîtrisées, canalisées, au service d’un mieux commun ?

Le défi est à la hauteur de la promesse. À nous de ne pas devenir les spectateurs passifs d’un monde altéré par ses propres illusions. Car, au fond, peut-être qu’il ne s’agit pas tant de savoir si nous pouvons faire confiance aux images… mais si elles peuvent encore, d’une certaine manière, nous faire confiance.

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