Une tradition millénaire dans l’assiette
Parler de la Corée du Sud sans évoquer sa cuisine serait omettre une des facettes les plus emblématiques de sa culture. Ici, manger n’est jamais un acte banal : c’est un rituel social, un marqueur identitaire et souvent une plongée dans une histoire plurimillénaire. Le savoir-faire culinaire coréen s’inscrit dans une tradition à la fois paysanne et royale, où l’équilibre, la fermentation et le partage jouent des rôles essentiels. Mais que trouve-t-on dans l’assiette lorsque l’on s’aventure dans les rues de Séoul, de Busan ou d’un petit village du Gyeongsang ?
Kimchi : plus qu’un accompagnement, une institution
Impossible de commencer ce voyage culinaire sans mentionner le kimchi. Ce mets fermenté — à base de chou chinois la plupart du temps, mais aussi parfois de radis blanc (kkakdugi) ou de concombre (oi-sobagi) — accompagne quasiment tous les repas en Corée du Sud. Certains comparent son importance à celle du pain en France : il est omniprésent, tous les foyers en possèdent une réserve (souvent dans un réfrigérateur spécifique), et il est transmis de génération en génération.
Mais le kimchi, c’est aussi une science. Sa fermentation repose sur un subtil équilibre entre sel, piment, ail, gingembre et parfois des crevettes salées ou de la sauce de poisson. La recette varie selon les saisons, les régions et les familles, offrant une incroyable diversité. Symboliquement, la préparation du kimchi (appelée kimjang) à l’approche de l’hiver est un moment communautaire fort, inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Un geste collectif, souvent féminin, qui perpétue le lien social.
Barbecue coréen : convivialité fumante
Vous avez peut-être déjà vécu l’expérience dans une rue de Séoul ou dans un restaurant coréen de Paris : le barbecue coréen (gogi-gui) propose une approche interactive et ludique du repas. Les convives grillent eux-mêmes les morceaux de bœuf, de porc ou parfois de calamar sur une plaque centrale – souvent intégrée à la table.
Mais contrairement à la tradition occidentale, l’accent n’est pas mis sur des pièces imposantes ou un goût fumé : ici, tout repose sur la finesse des découpes, la fraîcheur des ingrédients et l’équilibre des accompagnements. Chaque bouchée est pensée comme un ensemble harmonieux : un morceau de viande, une feuille de salade, du riz, un soupçon de pâte de soja fermentée (ssamjang) et une lamelle d’ail grillé… on roule, on croque. Et on recommence.
Ce qui frappe, c’est à quel point ce repas favorise l’échange. On grille pour les autres, on partage les sauces, on trinque au soju (alcool traditionnel). Le barbecue coréen est autant un festin qu’un ciment social.
Les banchan : symphonie de petits plats
La gastronomie coréenne ne s’apprécie jamais en silo : les plats principaux sont systématiquement accompagnés d’une multitude de petits mets servis en parallèle, qu’on appelle banchan. Ceux-ci peuvent aller de simples légumes sautés à des préparations plus complexes comme des omelettes roulées ou des fruits de mer marinés.
Le principe n’est pas de finir chaque plat, mais d’y picorer selon l’envie et la progression du repas. C’est un véritable ballet, un jeu d’équilibre entre saveurs salées, acides, umami et épicées. Les banchan illustrent parfaitement la philosophie coréenne du repas : variété, partage et équilibre nutritionnel.
Street-food : l’âme populaire des ruelles
Observer les files d’attente autour d’un stand de tteokbokki (gâteaux de riz pimentés) à Myeongdong, c’est comprendre à quel point la nourriture de rue occupe une place centrale dans la vie coréenne. Accessible, inventive, vivace — elle est à la fois un levier économique, culturel et identitaire.
Outre les tteokbokki, on peut s’y régaler de hotteok (crêpes épaisses fourrées au sucre brun et aux cacahuètes), de poissons panés en brochette, de donuts au haricot rouge ou encore de raviolis frits. Chaque quartier a ses spécialités, chaque ville ses variantes. À Busan, le marché de Gukje est un incontournable pour qui veut toucher du doigt cette effervescence savoureuse.
C’est aussi un excellent laboratoire pour comprendre comment les traditions locales s’allient à la modernité : nombreux stands sont aujourd’hui tenus par de jeunes chefs réinterprétant les classiques, smartphone en main, recettes en bouche.
Le riz, pilier discret mais essentiel
Si le kimchi est la star, le riz en est le fond de scène indispensable. Il structure le repas coréen, souvent servi nature (bap), parfois dans des versions plus élaborées comme le bibimbap (riz mélangé avec légumes, viande, œuf et pâte de piment), ou encore cuit dans des caquelons en pierre chauffée, développant une délicieuse croûte dorée (pour les amateurs : ne laissez jamais les fonds, c’est là que tout se joue !).
Le riz est aussi au cœur des rituels — qu’il s’agisse d’offrandes aux ancêtres, de repas de fête ou de processus de guérison spirituelle (jeong, cette notion floue mais cruciale d’affection partagée et d’énergie nourricière). En Corée, on ne se contente pas de manger : on transmet quelque chose d’intangible à travers l’assiette.
Tteok et douceurs coréennes
Moins connues en Occident, les douceurs coréennes n’en sont pas moins sophistiquées. Le tteok, gâteau de riz gluant, se décline en d’innombrables formes — parfois colorées, souvent parsemées de graines, parfois fourrées à la pâte de haricot rouge. Ce sont des mets de célébration, intrinsèquement liés aux rites de passage (anniversaires, fiançailles, nouvelle année lunaire).
Les desserts sont généralement moins sucrés que leurs homologues européens, privilégiant des textures variées et un équilibre subtil. Le succès actuel du bingsu — glace râpée garnie de fruits, haricots rouges ou pâte de sésame noir — témoigne de cette volonté d’association entre tradition et plaisir contemporain. Légèreté, fraîcheur, régression maîtrisée.
Un art de vivre avant tout
Manger en Corée du Sud, c’est aussi respecter des codes. Pas de baguettes plantées dans le riz (jugées de mauvais augure), pas de service avant les aînés, pas de soju bu sans rituel (on tourne légèrement la tête, les deux mains doivent saisir le verre). Ces règles, bien que souples, traduisent un profond respect de l’autre. Elles sont le reflet des valeurs confucéennes qui irriguent encore la société moderne : respect hiérarchique, convivialité, modération.
Et puis, il y a cette idée présente partout : on soigne par la nourriture. Une soupe chaude comme le samgyetang (poulet farci au riz et au ginseng) sert à lutter contre la canicule ; les repas hivernaux se pensent toniques, renforçants. Ce n’est pas un hasard si tant d’aliments fermentés occupent la scène : ils jouent un rôle crucial dans la santé intestinale, mais aussi dans la préservation des ressources, pensée chère à une société longtemps marquée par des pénuries alimentaires saisonnières.
Pourquoi cette cuisine séduit-elle autant ?
La “K-food”, comme on l’appelle désormais à l’international, connaît un essor considérable. Dans la foulée de la K-pop et des K-dramas, de nombreux jeunes à travers le monde découvrent les spécialités coréennes et s’y reconnectent avec un appétit curieux. Et il faut dire que cette cuisine coche bien des cases contemporaines :
- Elle est souvent centrée sur des produits végétaux — une aubaine pour qui veut réduire sa consommation carnée.
- Elle est généreuse sans être lourde. Les repas se construisent sur la variété plus que sur la quantité.
- Elle met en valeur les vertus nutritionnelles des ingrédients, sans sacrifier le goût.
- Elle favorise la préparation maison et les processus durables comme la fermentation.
Mais peut-être, au-delà de tout, séduit-elle parce qu’elle raconte une histoire. Une histoire de transmission, d’adaptation, de résilience. Une histoire qu’on mange autant qu’on écoute.
Pour les curieux : par où commencer ?
Vous rêvez de goûter à la cuisine coréenne sans encore pouvoir prendre l’avion pour Séoul ? Plusieurs pistes s’offrent à vous :
- Repérer les restaurants coréens proches de chez vous — privilégiez ceux qui offrent des banchan variés et du kimchi fait maison.
- Essayer vous-même quelques recettes simples : un bibimbap ou des tteokbokki sont relativement accessibles.
- Explorer les rayons de magasins asiatiques pour trouver du gochujang (pâte de piment), des algues séchées, du riz gluant ou des nouilles de patate douce.
- Suivre des créateurs de contenus culinaires coréens, sur YouTube ou Instagram, pour s’initier aux gestes, aux tours de main et à la philosophie sous-jacente.
Loin d’être un simple effet de mode, la cuisine coréenne s’inscrit dans un renouveau plus global des habitudes alimentaires. Plus respectueuse, plus connectée à ses racines et plus ouverte à l’altérité. Une invitation au voyage, sans quitter sa cuisine — ou presque.